Les populations rurales et urbaines du monde entier souffrent d’une augmentation dramatique de la dépossession et de la destruction de leurs terres, rivières, océans, pâturages, forêts et habitations. Elles sont confrontées à la perte d’accès et de contrôle effectif sur leurs territoires, la base même de leurs modes de vie et le tissu social de leurs communautés. À la suite d’une analyse réalisée par des organisations du monde entier dont nous faisons partie du Groupe de Travail Terre, Eau, Forêts et Territoires du Comité International de Planification pour la Souveraineté Alimentaire (IPC-Territory WG), nous avons conclu que la cause de cette augmentation spectaculaire était le “capitalisme clandestin”. En même temps, nous voulions exposer ses conséquences pour les communautés et mettre au premier plan les luttes des peuples pour des modèles économiques et sociaux alternatifs, basés sur l’agroécologie et l’autodétermination. C’est pour cette raison que nous avons créé le projet et la campagne de communication “Démasquer le capitalisme clandestin”.
Démasquer le capitalisme clandestin :
Pour les territoires et l’autodétermination des peuples
Qu’est-ce que le capitalisme clandestin ?
Par “capitalisme clandestin”, nous entendons une manière différente d’organiser l’extraction capitaliste de la richesse des territoires et d’autres biens communs naturels comme la terre, la pêche, les forêts et l’eau, entre autres. Les acteurs financiers – tels que les sociétés de gestion d’actifs, les compagnies d’assurances et les fonds d’investissement – génèrent de plus en plus leurs profits dans la sphère “virtuelle” du système financier, plutôt que dans l’économie “réelle” ou productive, comme les secteur industriel, agricole ou des services. Ils ont donc transformé les ressources naturelles de biens communs en actifs financiers pour l’investissement et la spéculation. Les communautés et les individus paient le prix de cette transformation, car ils sont exposés à la dépossession, à la violence et à la destruction de leurs territoires et de leurs environnements naturels.
Cependant, ce type de capitalisme a de nombreux visages et les acteurs sont cachés dans des réseaux peu transparents, c’est pour cette raison que nous l’appelons clandestin. Les communautés sont souvent confrontées directement aux entrepreneurs locaux, aux élites intéressées et aux entreprises extractives (agro-industrie, mines, construction, etc.). Néanmoins, derrière ces acteurs se cachent de puissantes entités corporatives qui gèrent des sommes d’argent spectaculaires et poursuivent des intérêts lucratifs particuliers. Les sociétés de gestion d’actifs, les fonds de pension, les compagnies d’assurances, les fonds spéculatifs et d’autres acteurs financiers se cachent délibérément dans des réseaux d’investissement opaques, tels que les sociétés financières, et échappent au contrôle public par le biais de centres financiers offshore et de paradis fiscaux.
Le capitalisme clandestin est rendu possible par les politiques nationales et internationales qui ont déréglementé la finance, qui ont créé de nouveaux marchés financiers et qui ont perpétué l’impunité des entreprises. Ces mesures ont permis la marchandisation des biens communs naturels et la création d’instruments financiers (contrats à terme, produits financiers dérivés, etc.) qui permettent de spéculer sur ces biens. Au lieu de conduire à un changement de cap vers un système mondial plus juste, les grandes crises financières des dernières décennies ont conduit à une nouvelle expansion des marchés financiers. En résultat, aujourd’hui, un petit nombre d’entreprises et d’individus extrêmement riches contrôlent une grande partie des ressources mondiales et exercent un pouvoir énorme sur la vie des gens. La terre en est un exemple : la concentration de la propriété et du contrôle du territoire entre quelques mains n’a cessé d’augmenter au cours des dernières décennies.
Par “capitalisme clandestin”, nous entendons une manière différente d’organiser l’extraction capitaliste de la richesse des territoires et d’autres biens communs naturels comme la terre, la pêche, les forêts et l’eau, entre autres.
Dans différentes parties du monde, des peuples et communautés s’organisent pour faire face au capitalisme clandestin. De gauche à droite et de haut en bas, les communautés des Philippines, d’Espagne, d’Indonésie et la caravane populaire d’Afrique de l’Ouest.
Des récits collectifs pour affronter le capitalisme clandestin
Les histoires présentées dans cette série illustrent comment des personnes et des communautés du monde entier sont exposées au capitalisme clandestin et à ses conséquences. Le capitalisme clandestin les dépossède de leurs terres, de leurs forêts et de leurs zones de pêche, dévaste leur environnement national, déracine leurs communautés et détruit leurs modes de vie. Les communautés sont confrontées à l’exploitation, à des conflits de plus en plus fréquents et sont souvent obligées d’émigrer sans aucune perspective de vie digne. Les femmes et les jeunes sont particulièrement touchés par cette dépossession violente qui détruit le tissu social des communautés.
Cependant, la campagne présente également les histoires de communautés qui défendent leurs territoires en tant que sources d’autonomie et de moyens de subsistance dignes. Les différents récits de lutte racontent comment les communautés construisent la souveraineté alimentaire pour elles-mêmes et pour l’ensemble de la population, en défiant les structures de pouvoir existantes et les modèles de discrimination et d’injustice. À travers leurs connaissances, leurs innovations et leurs pratiques, elles ouvrent la voie à de nouveaux modèles sociaux et économiques fondés sur l’autodétermination, l’équité et la coévolution des sociétés humaines avec leur environnement naturel.
Les histoires sont racontées du point de vue des personnes et des communautés touchées par le capitalisme clandestin. Dans le cadre d’un processus participatif, ce sont les communautés qui ont décidé quelle histoire raconter et comment, en collaboration avec des photographes et des journalistes professionnels. De nombreuses photographies ont été prises par les personnes touchées elles-mêmes dans les territoires – en particulier les jeunes et les femmes – et par les membres des organisations qui les accompagnent dans leur lutte quotidienne. Ainsi, ces histoires témoignent de la beauté et de la résistance des communautés et de leur lutte courageuse contre l’injustice, la violence et la destruction du capitalisme clandestin. Face à tout cela, des communautés du monde entier sèment la vie et l’espoir.
En faisant cela, ils défendent fermement un changement systémique et structurel. Ils appellent les institutions internationales et les gouvernements nationaux et locaux à abandonner les politiques qui promeuvent le pillage de la Mère Terre et l’impunité des entreprises, au profit de politiques publiques qui garantissent le contrôle des communautés sur les terres, les pêcheries et les forêts, qui réglementent les acteurs corporatifs et financiers et les tiennent pour responsables des violations des droits de l’homme. À cette fin, la distribution juste et équitable des terres doit être au cœur d’une transition vers des modèles qui profitent aux populations et à la nature, au lieu des entreprises et du capital financier.
“Les histoires sont racontées du point de vue des personnes et des communautés affectées par le capitalisme clandestin et relatent les impacts mais aussi les différentes formes de lutte.”