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Mali:

Une lutte sociale réussie

Les mobilisations des communautés paysannes font avancer la mise en œuvre des lignes directrices sur les régimes fonciers et la protection de leurs droits coutumiers, y compris des femmes et des jeunes

 

Au Mali, les communautés paysannes ont subi de multiples expropriations et expulsions forcées pour faire place à des projets agro-industriels à grande échelle. Ces initiatives d’accaparement des terres mettaient en danger la souveraineté alimentaire des paysan∙ne∙s et leur capacité à nourrir la population locale, puisque les trois quarts des terres cultivées par les paysan∙ne∙s alimentent les marchés intérieurs. Face à cette situation, les organisations paysannes ont uni leurs forces à celles de la société civile pour réclamer la reconnaissance de leurs droits coutumiers dans la nouvelle loi sur les terres agricoles. Les membres des communautés rurales se sont mobilisé∙e∙s, des commissions foncières villageoises inclusives ont été mises en place et les Directives sur les régimes fonciers ont été diffusées au sein des communautés et parmi les membres du Parlement. Ces efforts ont abouti à une réévaluation des droits fonciers coutumiers, qui incluent désormais les droits des femmes et des jeunes, et à la reconnaissance juridique d’un système foncier qui ne fonctionne pas selon les règles du marché néolibéral de la propriété foncière. 

 

Dans les années 2000, les paysans maliens ont été victimes de multiples expropriations et expulsions forcées, exacerbées par la crise alimentaire de 2008. Dans les communes rurales du Mandé et de Naréna, situées à l’ouest de la capitale malienne, Bamako, un partenariat entre l’administration locale et des spéculateurs individuels, pour la plupart des élites politiques nationales puissantes via des agences immobilières et des investisseurs étrangers, a placé les communautés sous la menace permanente d’une expropriation. Au total, environ 800 000 hectares de terres ont été accaparés au Mali.

À Mandé, la municipalité a dû faire face à l’expropriation de 3 600 hectares de terres par l’État pour réinstaller d’autres communautés qui avaient été précédemment expulsées d’une autre zone de terres dans la périphérie de Bamako. Le village de Mandé est entouré de grandes plaines sédimentaires irriguées par le fleuve Djoliba (Niger) où la communauté pratique diverses cultures, du coton aux céréales. La commune fait également partie du territoire collectif du cercle de Kati, dont la tradition d’organisation communautaire remonte à 1222, date de l’approbation de la Charte du Manden, souvent qualifiée de première déclaration des droits humains.

Face à cette expropriation massive, la communauté du Mandé a rejoint l’Union des association pour le développement et la défense des droits des démunis (UACDDDD), membre du mouvement paysan mené par la Convergence malienne contre l’accaparement des terres (CMAT). le mouvement paysan mené par la Convergence malienne contre l’accaparement des terres (CMAT), une alliance de cinq organisations de la société civile : l’Association des organisations professionnelles paysannes (AOPP), la Coalition des alternatives africaines dette et développement (CAD-Mal), la Coordination nationale des organisations paysannes (CNOP), la Ligue pour la justice, le développement et les droits de l’Homme (LJDH) et l’UACDDDD. La CMAT visait à assurer le respect et la sécurisation des droits fonciers coutumiers, ainsi que le maintien de la cohésion sociale et de la souveraineté alimentaire.

Dans les années 2000, les paysans maliens ont été victimes de multiples expropriations et expulsions forcées, exacerbées par la crise alimentaire de 2008. Un partenariat entre l’administration locale et des spéculateurs individuels a placé les communautés sous la menace permanente d’une expropriation.

 

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Paysans qui protestent contre les accaparements de terres au Mali. © FIAN Internatioanal

Mise en œuvre des directives sur les régimes fonciers : une lutte pour la reconnaissance légale des droits fonciers coutumiers 

Au Mali, les organisations paysannes comme la CNOP et l’AOPP étaient déjà activement engagées dans les négociations menées par l’ONU sur les Directives sur les régimes fonciers et ont pris la responsabilité de les mettre en œuvre au niveau national une fois qu’elles ont été adoptées en 2012. Par la suite, en collaboration avec la CMAT alliance, les organisations paysannes se sont mobilisées et ont amené les autorités gouvernementales à discuter des droits fonciers coutumiers afin de protéger les communautés soumises à de multiples accaparements violents de terres. Elles ont basé leurs revendications sur les cinq principes généraux des Directives sur les régimes fonciers. Ceux-ci comprennent la reconnaissance et le respect de tou∙te∙s les détenteurs et détentrices légitimes de droits fonciers et de leurs droits (y compris ceux qui ne sont pas encore protégés par la loi) ainsi que la transparence du processus de consultation et la participation effective de la société civile et des communautés affectées.

En 2014, alors que la politique foncière agricole du pays devait être adoptée, la CNOP a pris l’initiative de créer une plateforme multi-acteurs sur les directives relatives aux régimes fonciers sous l’égide du ministère du Développement rural et de la FAO au Mali. Cette plateforme a évolué en un cadre de consultation sur les directives avec un groupe de travail établi composé d’une variété d’acteurs, des représentant∙e∙s du gouvernement à la FAO, des experts fonciers, et des organisations de la société civile dont la CNOP et la CMAT. La plateforme a cherché à fonctionner à la fois comme un groupe de réflexion et un outil pratique pour faire des propositions au gouvernement sur les questions foncières et autres questions connexes.

En juillet 2014, lors d’un atelier national organisé par le ministère de l’Agriculture, cette plateforme a travaillé à la formulation du premier projet de loi sur les terres agricoles. Le projet comptait 147 articles dans lesquels les droits fonciers coutumiers collectifs des communautés et leurs mécanismes de sécurité sur les terres étaient reconnus. Or, en octobre 2015, après diverses relectures en réunions interministérielles, le Conseil des ministres ne validait que 49 des 147 articles du projet initial, supprimant la protection des droits fonciers coutumiers du document. Les organisations sociales ont riposté. En novembre 2015, les membres de la CMAT organisaient un atelier d’analyse croisée des deux projets de loi, duquel émergea un document de plaidoyer commun. Cette initiative a permis de dispenser une formation communautaire sur les droits fonciers, laquelle a encouragé les membres de la communauté à devenir des protagonistes engagés dans l’élaboration des politiques, et non de simples spectateurs passifs.

De décembre 2015 à mars 2016, des mobilisations se sont organisées pour dénoncer le vote de la version restreinte de la loi sur les terres agricoles à l’Assemblée nationale. Les organisations paysannes et civiles ont ainsi réussi à repousser avec succès le vote prévu. Puis, d’avril 2016 à mars 2017, une nouvelle vague de mobilisations a réussi à ce que l’Assemblée nationale du Mali organise une audition, où la CMAT et ses alliés ont pu soumettre leurs propositions. Le 31 mars 2017, l’Assemblée nationale votait la loi sur le foncier agricole, qui comprenait de nombreux articles du document de plaidoyer de la société civile. Le 11 avril 2017, la loi était finalement adoptée.

En vulgarisant et en appliquant les Directives sur les régimes fonciers, les communautés paysannes du Mali ont franchi une étape importante pour la petite agriculture et l’agriculture traditionnelle : un régime foncier officiel qui reconnaît par la loi les droits coutumiers des communautés rurales sur les terres agricoles et leurs mécanismes de sécurité, sans nécessairement respecter les règles néolibérales du marché en matière de propriété foncière.

Les organisations paysannes se sont mobilisées et ont amené les autorités gouvernementales à discuter des droits fonciers coutumiers. Elles ont basé leurs revendications sur les cinq principes généraux des Directives sur les régimes fonciers.

 

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Rencontre entre les paysans et les autorités locales. © FIAN International

Commissions foncières villageoises : inclure les femmes et les jeunes dans la prise de décision

Les organisations paysannes n’ont pas baissé la garde après la promulgation de la loi ; elles ont au contraire commencé à collaborer avec des expert∙e∙s universitaires pour accompagner les processus de mise en œuvre de la loi par le biais de commissions foncières villageoises, chargées d’élaborer des conventions locales et d’enregistrer les terres communautaires. Ces commissions ont été établies dans 22 villages de la commune du Mandé et de Narena par UACDDDD/CMAT. Elles ont également servi de mécanisme de renforcement de la confiance et de forum de résolution des conflits sociaux en favorisant le dialogue entre les membres de la communauté. Une caractéristique clé de ces commissions est qu’elles incluent tou∙te∙s les membres de la communauté : des chefs traditionnels aux agriculteurs et aux éleveurs, en passant par les femmes et les jeunes.

L’inclusion des femmes et des jeunes, conforme aux recommandations des Directives sur les régimes fonciers, a constitué un changement substantiel des normes de genre dans l’organisation communautaire coutumière. Traditionnellement, les hommes ont toujours occupé des postes d’autorité tels que chefs, chefs de famille et représentants locaux ayant le pouvoir d’allouer des terres. Or, on a pu constater que cette situation a souvent engendré des abus de pouvoir et facilité la saisie de terres communautaires au profit de processus d’investissements à grande échelle et d’urbanisation. Parallèlement, bien que les femmes soient les plus touchées par ces décisions, puisqu’elles sont responsables des soins reproductifs et de la collecte de l’eau, du bois et de la nourriture dans les terres et les forêts, elles ont toujours été exclues des processus décisionnels et empêchées d’exprimer leurs opinions en public.

Au cours des mobilisations, la CMAT a veillé à ce que les femmes et les jeunes participent aux sessions publiques. Ces groupes démographiques ont ainsi gagné en confiance et se sont exprimés plus clairement sur leurs expériences d’oppression, de discrimination et d’accaparement de terres. Cette évolution a entraîné un changement dans la perception que les femmes ont d’elles-mêmes et dans leur compréhension de leurs droits fondamentaux. Les femmes ne se considèrent plus comme des victimes, mais comme des protagonistes, et ont commencé à s’engager activement auprès des autorités publiques pour gérer les terres communautaires. Les droits coutumiers ont donc été réévalués pour prendre en compte le point de vue des femmes et des jeunes sur la gestion des ressources naturelles et assurer l’équité et la justice sociale pour l’ensemble des membres du village.

Les commissions foncières inclusives se sont révélées très efficaces pour faire cesser les expropriations, de même que les activités extractives telles que le dragage des mines et l’exploitation artisanale de l’or sur les terres arables. Elles ont également permis de stopper les feux de brousse et la déforestation abusive et d’améliorer la conservation des arbres fruitiers. À Mandé, ce processus a permis à la communauté de garantir ses droits sur 3 600 hectares précédemment désignés à l’expropriation

L’inclusion des femmes et des jeunes, conforme aux recommandations des Directives sur les régimes fonciers, a constitué un changement substantiel des normes de genre dans l’organisation communautaire coutumière

 

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Femmes maliennes dans une réunion de village. © FIAN International

10 étapes fondamentales pour la mise en place de commissions foncières villageoises inclusives par UACDDDD/CMAT au Mali
Étapes  Protagonistes  Objectifs 
1 Sensibilisation Maire plus 1 ou 2 adjoints,

Chefs de village ou leurs représentants, représentant∙e∙s des femmes et des jeunes

Présentation de la loi sur les terres agricoles

Présentation du processus global de mise en place des commissions foncières villageoises

Représentant∙e∙s communautaires des réunions de sensibilisation Restitution de la réunion de sensibilisation en assemblée villageoise dans chaque village

Préparation des villages à faire partie du processus

2 Entrée communautaire L’assemblée d’un village fait office de représentante dans les autres villages Désignation de l’équipe locale
3 Formation de l’équipe locale Équipe locale Formation sur les rôles, les responsabilités et la mise en place des commissions foncières villageoises

Création de groupes de femmes et de jeunes

Mise en place de forums de consultation avec la mairie

Sensibilisation à l’agroécologie paysanne et à sa dynamique sur le territoire

Préparation de l’étape suivante : le processus de convention locale

4 Accord local de gestion foncière Assemblée du village Restitution des formations dans les villages par l’équipe de sensibilisation locale et préparation des membres du village à l’élaboration de conventions locales
Assemblée du village Enquête sur les pratiques et coutumes foncières dans le village
Équipe UACDDDD/CMAT Traitement des données et élaboration d’une convention locale
Assemblée du village Amendements et validation de la convention locale
Conseil Séance communautaire de validation de la convention locale en conformité avec les lois.
Administration et juridiction Lettre de dépôt de la convention locale enregistrée auprès de l’officier divisionnaire, de la gendarmerie, et du tribunal de première instance de la communauté
5 Renforcement des forums de discussions Équipe locale + femmes + jeunes + conseil Création d’un groupe de femmes et de jeunes

Création d’un forum de consultation

6 Phase de formation pour le personnel administratif Officier divisionnaire, conseil, équipe locale Coordination du processus d’établissement des commissions foncières villageoises afin qu’il se déroule sans heurt
7 Mise en place des commissions foncières villageoises L’assemblée villageoise d’un village fait office de représentante dans les autres villages Sensibilisation et discussion sur le type de personnes susceptibles d’être membres de la commission foncière villageoise
 Assemblée villageoise dans chaque village Discussion des critères de sélection des futurs membres des commissions foncières villageoises pour la création de “comités provisoires” de ces commissions
Responsable de district + équipe locale + 1 représentant∙e du conseil municipal Validation par le responsable de district sur la base du procès-verbal de la commission foncière villageoise
8 Renforcement des capacités des membres des commissions foncières villageoises Membres de la commission foncière villageoise Rôle, responsabilités et fonctionnement des commissions foncières villageoises
Membres de la commission foncière villageoise Assistance à la rédaction collective du règlement intérieur
Membres de la commission foncière villageoise + le conseil Validation du règlement intérieur par la commission foncière villageoise et légalisation par la mairie
 UACDDDD Formation spécifique des rapporteurs sur les rôles et responsabilités, sur les documents administratifs : procès-verbaux, certificats, documents de transaction, etc.
9 La terre dans l’agroécologie paysanne Communautés Réflexions, discussions et approche holistique (globale) basée sur les 7 piliers du manifeste de l’agroécologie paysanne
10 Évaluation  UACDDDD Évaluation de la commission foncière villageoise dans chaque village avec un tableau de suivi partagé lors de l’assemblée du village, 3 mois après le démarrage des commissions foncières villageoises, au moins pendant la première année.
UACDDDD Rapport des membres de la commission foncière villageoise et du conseil

2 fois par an / forum de consultation

UACDDDD + équipe locale Étape semestrielle de restitution des commissions foncières villageoises à l’assemblée du village

Évaluation, suivi, rectification des résultats des commissions foncières villageoises

Tableau de suivi partagé

 

Cet article a été rendu possible grâce aux informations et au soutien de UACDDDD-MALI et du CMAT.